Cadrage

Cette série d’image appartient à une mission photographique commandée par le Service de l’Aménagement du Territoire du canton de Vaud, en Suisse. Il s’agissait de rendre, par la photographie, une représentation sensible du paysage; comme si l’on pouvait faire autrement!

Si l’on se déplace, hors des cadres d’horaires et de situations convenus, librement sur tout le territoire du Canton, on s’aperçoit que, la plupart du temps, le paysage est désert.

Cela tient au temps et au lieu; la foule se concentre dans des endroits donnés (bureaux, cinémas, cafés ou supermarchés) à des moments donnés (sortie scolaire, de travail, sport, courses du samedi, etc.). En dehors, ce sont les parenthèses domestiques, retirées derrière des rideaux opaques. Les individus qui apparaissent entre ces coïncidences collectives, sont, en général, perdus, en panne ou en pleine déprime...

Si les paysages proposés dans cette étude sont déserts, ce n'est en rien une forme de style, une vague esthétique contemporaine empreinte de mélancolie, c'est une simple constatation.

Il est intéressant d’observer que le paysage, en tant que forme artistique, contient plutôt rarement des personnages, ou alors dans le lointain. Si la figure humaine prend trop d'importance, ce n'est plus un paysage, mais une scène. La figure humaine a cette capacité d'attirer l'attention, le regard, de l'absorber carrément. On finit par s'attacher à la couleur des cheveux, aux expressions, etc.

Pourtant, en réalité, la figure humaine est toujours présente dans le paysage dans le sens où il est l’agent principal de son apparence et où l'image produite est le fruit d'un regard humain.

Petite anecdote: Récemment, je photographiais les hauts de Morges, vers Échichens. La voiture était carrément posée sur le bord de la route dans un virage un peu dangereux. Donc, je cours avec mon appareil, vers un champ dégagé qui m'offrait un point de vue sur Lausanne (il paraît que c'est beau une ville de loin...). À mon retour, toujours au pas de course, un bonhomme apparaît à la fenêtre de sa villa et crie: «Au voleur ! Il me pique mon paysage!» Et moi, de mon côté, je lui réponds: «Mais le paysage, c'est vous!».

On constate ce phénomène fréquemment. Chacun a tendance à considérer le paysage de son propre point de vue. Le paysage, c'est une sorte d'égocentrisme visuel; on tourne sur soi-même et l'espace autour défile selon notre propre mouvement. On ne se regarde pas regarder. On ne le peut pas.

C'est pour cette simple raison que l'on voit pousser tant de monstruosités dans le paysage... les résidents sont bien les seuls à ne jamais le remarquer. Ils sont assis sur leur point de vue, aveugles à eux-mêmes, mais tournés vers les Alpes!

-NS